Keep calm.

Deux heures. Soit cent vingt minutes mais, si on souhaitait encore plus dramatiser, sept mille deux cents secondes. Ça parait immense dit comme cela, n’est-ce pas ? Eh bien, pour Aeka, ça l’était. Assise dans l’herbe juste à côté de l’armurerie, elle réussissait à se lasser de son activité favorite, soit l’observation des autres. Sans parler de ses membres, qui commençaient à s’ankyloser à cause du manque d’activité. A vrai dire, après avoir passé les sept mille deux cents secondes précédentes planté au beau milieu du camp, son popotin collé au sol, il ne fallait pas croire non plus que ses muscles seraient encore frais. De plus, le manque d’animation et de disputes accentuait son ennui. Dormir ? Elle avait essayé. Mais déjà, il fallait vaincre le pénible fond sonore qui se répétait à ses oreilles, soit tintements d’épées effrénés, suivit en général de conseils inutiles qui étaient dits et redits et d’encouragements plus niais les uns que les autres, avant de retourner aux bruitages métalliques. Elle qui pensait enquiquiner des gens pendant ce temps là … C’était peut-être là une belle erreur qu’elle avait fait.

Ce matin même, la Roussil fut vite tirée de son sommeil. La commandante, Héra, l’avait réveillée brutalement, certainement par pur plaisir et procuration, et ce aux aurores. La Mysdibule expliqua qu’elle était au courant pour la dague d’extrêmement bonne qualité que la combattante avait malheureusement perdu au combat. Et par « au combat », elle voulait certainement dire dans la chair d'un renégat que tous croyaient assommé et qui s’est levé subitement et qui a détalé avec la lame dans le flanc, laissant une traînée de sang couler derrière lui. L’être beige lui avait ordonné de réceptionner la livraison du forgeron, puisqu’outre glander, elle n’avait que cela à faire, en reprenant les termes exacts de la Pokémon. Youhou ! Quelle partie de plaisir avait-elle songé, de façon purement ironique. Après s’être bien assurée que cette commission déplaisait fortement au chevalier, la chef s’est retirée, rectifiant au passage les offensives d’un autre soldat.

Quelle tâche indigne de ma personne ! Si elle ne souriait pas tout le temps, on remarquerait de suite que la renarde était énervée, mais bon, ce n’était pas le cas. Le pire, enfin, pour elle, c’était qu’on lui rendait la risette, quand on passait devant elle. C’était peut-être une intention charmante et innocente, mais son humeur des plus maussades lui faisait croire qu’on se moquait d’elle. Elle martela le sol d’une de ses pattes ébène, essayant par cela de contenir son impatience, en vain. Mais il fiche quoi, ce forgeron ?! C’est presque s’ils s’étaient donné le mot pour l’enquiquiner, aujourd’hui. Elle croyait même à une conspiration. Bon, il est vrai que tout cela était un peu exagéré, mais refouler sa colère sur le monde entier et s’inventer des scénarios tout à fait improbables était tout de même plus revigorant que de compter les brins d’herbes comme un de ses abrutis de « semblable » lui avait suggérer en ricanant, avant de s’être reçut une fanfare de jurons dans le moral.

Et si … Et si il lui était arrivé quelque chose ? Il était vrai qu’il n’était pas rare de voix des bandits de petites frappes sillonner les ruelles richement décorées de la Capitale en cherchant la futur proie de leur méfait. Si jamais des abrutis s’étaient amusés à voler des armes, cette histoire allait tourner au vinaigre. Il fallait qu’elle fasse quelque chose ! Qu’elle aille s’assurer que le forgeron et sa livraison allaient bien, et que … Oui, elle s’ennuyait à en crever. Elle soupira. C’est clair : je hais Héra.

« ..., 30 heaumes, 60 boucliers et 60 épées. Le compte est bon. »
Thorek grogna. Ces livraisons au camp d'entraînement étaient une corvée dont il aurait bien voulu se passer. Enfin, son chariot était prêt et il était en avance. L'idée de s'accorder une sieste dans son vieux fauteuil en osier lui effleura même l'esprit. Mais il la repoussa d'un revers de main. Après tout, l'armée était un client assez gourmand et qui payait bien, qui plus est.

Le chariot contenant la commande étant bien chargé, il décida de se mettre en route et de prendre son temps sur le chemin. Néanmoins, à ce moment-même, la lumière filtrant par la porte de la forge fût obstruée d'une silhouette d'équidé. Thorek soupira. Un dernier travail l'attendait avant de partir.

« Une autre double paire de fers, je présume ? Vous connaissez le prix.
Oui. »

Un Zeblitz entra dans la forge alors que Thorek s'était déjà retourné vers son enclume. Il laissa une bourse sur la table qui servait au Magmar de faire ses comptes et attendît. Le souffle chaud du forgeron réchauffait déjà la pièce et plus particulièrement le fer qu'il allait modeler. Le Zeblitz en question était un bon client. Maniaque comme pas deux, au moindre coup sur l'un de ses fers, il retournait à la forge s'en faire refaire toute une fournée. Et des neufs, qui plus est. Il ne se contentait pas d'une réparation. Malheureusement pour lui, les chemins qu'il empruntait étaient en assez mauvais état pour que le Magmar puisse le considérer comme un habitué. Thorek savait que cela compromettrait son avance pour la livraison, mais il n'avait pas vraiment le choix. La dernière fois qu'il avait voulu repousser le Zeblitz, celui-ci lui avait fait une crise monumentale. Aussi, pour le bienfait de son ouïe, pourtant habituée aux coups de marteaux, le prenait-il prioritairement.

Le temps passa et les quatre fers furent alors prêts. Thorek eût presque un sourire en se rendant compte qu'il connaissait les mensurations des sabots de son client par cœur. Mais finalement, c'était plutôt pitoyable. Il ne prenait même plus la peine de le renvoyer vers le maréchal-ferrant pour la mise en place, jugeant qu'il était mieux placé pour savoir si son œuvre était correcte. D'ailleurs, le Zeblitz était déjà en position. Dans un soupir d'exaspération, Thorek commença à enlever les vieux fers, considérant ceux qu'ils pourraient revendre au passage. Puis, il plaça les fers encore chauds et une odeur de corne brûlée se répandît dans la grande pièce.

Le Zeblitz effectua une petite danse, s'assurant que ses fers étaient bien fixés, puis fît un signe de tête au forgeron et sortît silencieusement. Enfin un qui a compris que parler ne sert à rien.
Thorek jeta un œil au soleil, qui était déjà haut dans le ciel, et sortît son chariot. Il prît soin de refermer la lourde porte et de tourner deux fois la clé dans la serrure massive avant de la pendre à son cou. Puis, résigné, les muscles saillants, il tira le chariot vers le camp. Il ragea sur le dénivelé qui, évidemment, ne jouait pas en sa faveur. Bon d'accord, en cas d'attaque, il vaut mieux ménager nos chevaliers que l'ennemi mais sérieusement, ils n'avaient jamais essayé de monter un chariot plein de fer et d'acier au camp, c'était certain.

Il arriva finalement au camp en sueur et couvert de la poussière de la route. L'idée du bon bain tiède qui l'attendait en rentrant était la seule agréable qui lui effleurait l'esprit. Tout autour de lui, les chevaliers nommés et en devenir s'entraînaient. Il eût un rictus en voyant certains se servir de réelles armes et non de celles en bois. Cela les émoussait prématurément et il était déçu que son œuvre puisse être gâchée de telle façon. Les plus jeunes se retournèrent devant le spectacle peu orthodoxe du Magmar et de sa cargaison. Thorek les fusilla du regard les uns après les autres. Il n'était certainement pas une bête de foire et ils avaient autre chose à faire que de le suivre avec leurs yeux de Magicarpes ébahis.

Il arriva enfin devant l'armurerie. Une jeune Roussil semblait l'attendre, un sourire au lèvre. Thorek leva un sourcil, cette expression le laissant perplexe. Avait-il affaire à la simplette du royaume ? Enfin... L'armée avait payé sa commande à l'avance et il ne fallait pas énormément de ressources intellectuelles pour signer son reçu. Assez direct comme à son habitude, il omit le « bonjour » de circonstance pour aller droit au but :

« Vous réceptionnez le tout ? »

Avant qu'elle ne puisse répondre, il avisa la taille de la renarde et l'amoncellement du métal dans le chariot et reprît :

« Dites, vous croyez pas qu'il vous faudrait quelqu'un pour ranger ça ? Parce que c'est foutrement lourd pour des p'tits bras comme les vôtres. Moi j'décharge, j'prends votre signature et je m'en vais. Je n'ai pas que ça à faire.»

La Roussil souffla, laissant ses yeux se perdre dans la ligne infinie de l’horizon. Elle rêvait de pouvoir voyager, et ce n’était pas depuis qu’elle était entourée de gardes et qu’elle s’était engagée auprès du royaume Primerien qu’elle le souhaitait, non. Cela remontait bien avant cela, lorsqu’elle ne s’était pas encore créer un masque et qu’elle possédait ce qu’on appelle une personnalité. Je n’ai pas à penser à ce que je ne pourrais jamais faire. Néanmoins, son regard ne se détacha pas du paysage. Elle imaginait déjà ces zones pacifistes qui se fichaient bien de la trahison d’une des Reines. Ces zones où les seules menaces étaient des cloportes imbéciles qui voulaient juste mettre du grabuge. Ça doit être le parfum des fleurs qui m’esquinte le cerveau, à un tel point que mes pensées en deviennent niaises. Ses paupières se fermèrent sur ses prunelles, la laissant se concentrer sur le vent soufflant sur le camp qui lui apportait les effluves et les bruits alentours. En oubliant les glapissements ridicules des autres chevaliers, elle pouvait reconnaître le lointain brouhaha de la Capitale, lieu qu’elle n’a jamais aimé fréquenter. Elle entendait aussi les bruissements provenant de la forêt, mais les tas de feuilles écrasés, elle s’en fichait bien. Elle avait ouï quelque chose de bien plus intéressant.

Cela ressemblait à des bruits d’armes, mais le tintement était trop régulier pour être des Pokémons qui s’entraînaient. Un vieux crissement accompagnait le bruit métallique. Il faisait penser à un frottement de bois lors d’une action mécanique, et le fait qu’il butait parfois contre des roches la laissa songer à un chariot.

Intriguée, elle leva la tête, espérant voir au-dessus des taillis, mais une violente bourrasque lui clos les yeux, rafale qui portait une légère odeur de fonte et de brûlé. Son sourire s’agrandit à l’idée que cette stupide commission se termine enfin et qu’elle puisse vaquer en paix à ses occupations.

Un peu plus loin d’elle, la renarde put apercevoir une large carrure pourpre se dessiner dans le paysage suivie  d’une carriole. Comme elle l’avait deviné précédemment, des pièces de métal étaient chargées sur la charrette, certainement la commande passée par l’armée. Le Magmar traçait son chemin à travers les hautes herbes, son lourd chargement derrière lui, chargement qui détourna l’attention de certains chevaliers en pleins entraînements. Tels des enfants effrayés et curieux, ils baissèrent leurs armes pour observer le forgeron avec de grands yeux impatients et le suivirent du regard sans ciller. La Pokémon remarqua une mimique dérangée de la part du nouveau-venu, qui ne devait certainement pas apprécier le comportement déplacé de la noblesse de Primera. Néanmoins, il eut la présence d’esprit de les ignorer, ce qu’il aurait dû faire depuis le début.

Le forgeur se dirigea vers l’armurerie, et la remarqua, accessoirement. Aeka ne put s’empêcher de noter son expression faciale, qui semblait plutôt perplexe. Il me juge. Elle était habituée aux préjugés, et reconnaître une personne en train d’en jauger une autre était devenu presque simple pour elle.

« Vous réceptionnez le tout ? » fit-il.

Bien, bonjour la politesse. Elle attendait depuis sept heure du matin –ordre d’Héra- cette fichue cargaison, devait supporter les babillages enfantins de ses « semblables » pendant toutes la matinée, et Arceus n’a même pas été fichu de lui envoyer quelqu’un d’un minimum poli. Elle avait envie de répliquer par une tirade plutôt mal placée, étant un peu soupe au lait ces jours-ci, mais le forgeron ne lui en laissa pas le temps.

« Dites, vous croyez pas qu’il vous faudrait quelqu’un pour ranger ça ? Parce que c’est foutrement lourd pour des p’tits bras comme les vôtres. Moi, j’décharge, j’prends votre signature et je m’en vais. Je n’ai pas que ça à faire.»

Il me sous-estime ? Il était vrai qu’elle n’avait pas la force d’un Nidoking, mais elle n’était pas si faible que ça. D’ailleurs le Magmar n’était pas le seul à la juger sur son apparence : des chevaliers et leurs écuyers s’étaient tournés vers elle lorsqu’ils avaient aperçu le chargement. La Roussil aurait pu s’énerver, mais elle n’en fit rien. Elle préférait nettement laisser cela à Héra, puisque cette dernière n’avait rien de mieux à faire que de rouspéter après tout le monde. Son attention se concentra sur le Pokémon Feu. A premières vues, il me paraît plutôt … grognon. Elle revit mentalement ses paroles et sa gestuelle, et le tout lui laissait penser que son interlocuteur était du genre susceptible, ce qui étira son sourire. Peut-être que je pourrais tout de même m’amuser, aujourd’hui …

« Peut-être que c’est lourd, mais il ne faudrait pas non plus me sous-estimer. Ce n’est pas comme s’il fallait six tonnes de muscles pour ranger toute cette ferraille, de plus, vous l’avez bien fait à vous tout seul. »

Elle l’avait dit sans grandes subtilités, et d’un ton plutôt anodin, ce qui avait de grandes chances d’irriter son interlocuteur. Ajoutons à cela quelques insultes dissimulées par-ci, par-là, il fallait juste quelques notions d’intelligences et d’esprit au Magmar pour que le petit jeu commence. Pour exagérer son irrespect, Aeka fit comme si elle attendait avec hâte le reçu qu’elle devait signer, ce qui additionna un bel effet je-m’en-foutiste à sa provoque.