Le charme est la meilleure des armes || ft Hesperhodos

Le charme est la meilleure des armes

Le Nord... le Nord, Soreye connaissait mieux que quiconque cette région d'Aizora, y ayant vécu autrefois, et voyagé à maintes reprises. Chaque fois, elle venait ici, prise d'une curieuse nostalgie, et chaque fois, elle en repartait, des souvenirs amers commençant à l'envahir. Elle tournait en rond, constamment. Esquissait comme une spirale infernale. Plus elle marchait, plus ses pattes douces et immaculées s'endurcissaient et se retrouvaient dégoulinantes de sang. Pas forcément le sien. Mais, ce jour-là, elle était blanche. Non pas couverte de poussière ou de quelconques fluides corporels. Simplement d'une blancheur à la pureté si fade et fausse qu'elle en devenait attristante. Le rongeur balaya les lieux du regard. Ils étaient exactement comme elle, à cet instant. Le château, autrefois d'un rouge sinistre suite aux combats qui ne laissaient derrière eux qu'un silence pesant, avait retrouvé sa couleur d'antan, la pâleur du clair de lune qui contemplait la terre depuis son perchoir, toujours visible malgré l'aube naissante. Excepté que désormais, il ne restait que des vestiges du palais disparu.

Se comparer à un bâtiment détruit... décidemment, elle n'avait pas une âme de poète. Le symbolisme l'ennuyait à mourir, de toute manière. Son apparente pureté était certes un mensonge en soi, mais il lui servait d'outil pour parvenir à ses fins. Inutile de se poser trop de questions. Sois mignonne et tais-toi, ta paye suffit à ton bonheur, voilà ce qu'elle se disait à cet instant. Un petit ricanement forcé s'échappa de sa gueule. Voilà qu'elle se parlait seule, maintenant. Le manque de clients du Nord – faut dire, on n'y trouvait que des esclaves et des bandits – allaient vraiment la rendre folle. Cela faisait plusieurs minutes qu'elle marchait dans ce labyrinthe constitué de blocs et de murs à moitié détruits. Il ne manquerait plus que l'un d'eux menace de s'écrouler sur elle... mais mieux valait ne pas parler de malheur, cela risquerait de gâcher sa journée. A moins qu'un autre évènement ne vienne la perturber ?

A cet instant, il lui sembla entendre un bruit de pas foulant l'herbe qui tapissait le sol. Méfiant, le rongeur tourna la tête et dressa les oreilles, tous sens à l'affut, serrant plus fort le baluchon qu'elle transportait, invariablement. Puis la silhouette d'une Roserade se découpa, non loin d'elle. Soreye se relâcha, soulagée. Qui pouvait-elle être ? Elle avait les traits élégants de ces dames que l'on voyait autrefois au château détruit, selon ce qu'on lui racontait, étant petite. Peut-être en était-elle une à l'époque, quoiqu'elle fût un peu jeune – on disait que ce type de Pokémon flétrissait avec l'âge – et qu'elle se sentait nostalgique d'une vie de fastes révolue. Si c'était le cas, la Chinchidou lui aurait bien ri au nez. Alors, ma grande, tu vois ce que ça fait d'être pauvre, maintenant, dans ce monde pourri jusqu'à la moelle ?

Naturellement, elle ne laissa rien paraître, et au contraire veilla à ce que son pelage soit parfaitement lisse, écarquillant les yeux dans une expression niaise au possible, quoiqu'adorable. Une délicate jeune demoiselle attirerait peut-être les grâces de Lady Fine Fleur, si elle s'y prenait bien. Et elle s'y prenait toujours de la meilleure manière possible. D'un pas lent, tout en prenant soin de faire semblant d'admirer le paysage si chargé d'histoire, elle s'approcha de la Roserade.

"Oh, bonjour ! Veuillez m'excusez, je ne m'attendais pas à trouver qui que ce soit ici…"

Leurs regards se croisèrent, et Soreye sentit l'odeur des pétales ornant les bras de son interlocutrice et embaumait l'atmosphère. Des parties qu'elle devinait fragiles, si les choses tournaient mal. Sa gorge nouée, ses muscles tendus, impossible de les voir sous son épais pelage blanc. Arceus qu'elle pouvait haïr ce travail. Et ce n'était rien comparé à l'appréhension qu'elle devait masquer face à une victime énorme et puissante.

"... Et certainement pas une personne comme vous, poursuivit-elle presque aussitôt. Ma route a été pavée d'attaques multiples. Les bandits rôdent par ici... ils me terrorisent."

Tant de drame, tant de peur dans sa voix douce et calme de petite damoiselle en détresse. Et son numéro n'était pas encore terminé. Aujourd'hui, étant donné les circonstances – elles se trouvaient tout de même sur les ruines d'un royaume disparu, detruit – une mine mélancolique était sans doute de mise. La tristesse était une émotion qu'elle peignait facilement sur ses traits ronds. Baissant le ton de sa voix, pour en faire un murmure peiné, elle ajouta, comme pour elle-même :

"Ce lieu est calme, au moins... Rassurez-vous, nous ne risquons rien ici. Mais je préfèrerais presque risquer ma vie dehors que d'avoir à subir la vue de ce... de ce qui est arrivé à Primera."

Il était toujours possible qu'elle soit du côté de ceux qu'on appelait autrefois "Rénégats", et Soreye ne s'en rendit pas compte de suite. Mais elle se rassura en se disant que de toute manière, rien n'était perdu. La faiblesse qu'elle affichait aurait au moins fait baisser la garde d'un éventuel ennemi... Elle espérait.  

Le charme est la meilleure des armes

Un grand sourire. Elle était belle, cette Roserade, très belle et noble.  Mais les Helheimiens étaient nobles aussi. C'était un adjectif parfaitement adapté aux richards grassouillets qui profitaient du régime en place pour se goinfrer sur le dos des honnêtes... non, il ne fallait pas se faire d'illusions ; rares étaient les bons Pokémon en ce bas monde, et si la Chinchidou laissait croire qu'elle faisait partie de cette élite angélique, elle n'était pas assez stupide pour se laisser aller à des pensées naïves qui, depuis longtemps, l'auraient conduite à sa perte.

"Vous m'en voyez rassurée de vous l'entendre dire", avait murmuré la délicate rose.

Si elle ne s'était pas retenue à temps, la blanche aurait poussé un soupir de soulagement. Elle était bien en faveur de l'ancien régime de Primera, ou du moins, elle était neutre et simplement respectueuse des fausses opinions que Soreye véhiculait, sinon elle l'aurait aussitôt attaquée. Elle avait eu de la chance. A force de victoires, elle commençait à être moins attentive, chose qu'elle devait pourtant veiller à ne jamais faire. Un sourire mélancolique lui effleura le visage, mais elle ne prononça pas une parole. Ses méthodes perdaient quelque peu de leur efficacité à mesure qu'elle baissait sa garde, mais cette expression ferait probablement fondre toute armure de méfiance chez quiconque. Du moins avait-elle la prétention de l'espérer. Dans le pire des cas, Antarès était tout près, bien aiguisé, dans son baluchon... simple tissu contenant pourtant mille merveilles qu'elle s'empresserait de vendre à Lady Fine Fleur...

"C'est une honte que des forbans s'en soient pris à vous. Ils ne vous ont pas causé trop de misères, j'espère ?"

Elle marqua une pause alors que Soreye secouait lentement la tête. Puis, elle reprit :

"J'admets que ce qui s'est déroulé ici n'était pas très beau à voir. Vous êtes chanceuse d'avoir ne serait-ce qu'échappé à ceci."

Sous-entendait elle quelque chose ? Selon ce que le rongeur comprenait, elle aurait connu la catastrophe de Primera, a moins qu'elle ne compatisse juste avec ces pauvres choux qui n'avaient su échapper à leur triste sort. Bien que détestant évoquer son passé, l'occasion était trop belle pour résister à en user afin d'attendrir cette... dame, à laquelle Soreye évitait de lancer trop de coups d'œil furtifs. Sa paranoïa la suivait partout, mais elle était bien placée pour savoir que le plus beau et délicat était bien souvent le plus dangereux. Pourquoi les Roserade avaient-elles des épines, si ce n'est pour blesser cruellement tout ennemi s'approchant d'elles ? Bah, mieux valait ne pas penser à cela, et prendre quelques risques en estimant que l'inconnue était digne de confiance. Depuis quand les prédateurs avaient-ils peur de leurs proies ? Son honneur, tout comme son attention, avait récemment subi une baisse qu'elle ne saurait tolérer. A moins que ce ne soient les lieux qui la rendaient si mélancolique ? Non, c'était ridicule.

"En effet… finit-elle par admettre, après un long silence. En effet, j'ai eu la chance de ne pas connaitre la chute de ce si beau royaume."

Baissant d'un ton, elle ajouta :

"Mais, c'est égoïste, je sais... j'aurais juste souhaité, ne serait-ce qu'une fois, voir ce château à l'époque où il était encore plein de vie et de lumière. Je serais probablement aussi mortifiée devant ses ruines que devant les restes de mon village natal, désormais envahi par les bandits. Mais... j'aurais au moins un souvenir auquel me raccrocher."

Un sourire toujours vaguement triste, mais bien plus mignon, presque éclatant, se dessina sur ses lèvres. Des larmes de Mysdibule commencèrent à perler sur ses joues, ses moustaches, alors qu'elle se retournait vers Lady Fine Fleur.

"Les souvenirs de jours meilleurs peuvent représenter une magnifique lueur d'espoir pour le futur... vous comprenez, n'est-ce pas ?"

Elle-même, en tout cas, ne comprenait pas. Le futur était tout aussi noir que le présent, si ce n'est plus, et encore et toujours le rongeur arpenterait les routes, dans l'espoir d'arracher quelque Poké à un voyageur malchanceux. Comme celle qu'elle avait en face des yeux, à dire vrai... mais cela, elle l'ignorait, n'est-ce pas ?

Le charme est la meilleure des armes

"Bien sûr, avait dit Lady Fine Fleur en hochant la tête. C'est pourquoi je... Je continue de prier pour que demain soit fait d'un peu plus de bonheur qu'aujourd'hui. Comme ces si belles bribes de souvenirs..."

Oh, soit. La demoiselle était nostalgique ? Soreye relâcha sa méfiance. Les habitants de Primera avaient peu de chances de s'en prendre à une adorable jeune fille telle qu'elle. Il se pourrait qu'elle fasse erreur, mais autant suivre son instinct, pour une fois. Quand bien même elles venaient à se battre, Soreye savait se défendre. Fort heureusement d'ailleurs, car sans griffes, crocs et poignard, elle serait depuis longtemps perdue, tout comme la bâtisse qu'elles avaient en face d'elles.

"C'est un souhait bien ambitieux, certes..."

Et comment. Quoique prier n'était point difficile, sa tâche n'était pas si lourde à porter, qu'elle se soit mise ou non au service des légendaires. Ces derniers avaient de toute manière abandonné les pauvres créatures errant sur ces plaines. Se plaindre auprès d'eux était inutile, et elle plaignait presque la Roserade si raccrochée aux souvenirs du temps passé. Ce qui avait eu lieu, ce qui allait arriver, tout cela n'avait aucune importance aux yeux de la Chinchidou. Elle préférait ne pas penser à ce qu'elle avait enduré ou au temps long, douloureux et lassant qu'elle allait vivre ; seul le présent et l'instinct de survie comptaient, en plus des pièces, sonnantes et trébuchantes, qui tombaient au creux de sa patte au fil de ses sourires vides de joie. Un de ces sourires qu'elle esquissa à cet instant.

"Tous les souhaits semblent l'être lorsqu'ils sont formulés. Et ils sont insignifiants une fois réalisés."

Désormais, ses larmes de Mysdibule inondaient ses joues, pénétraient dans sa bouche, un atroce goût salé envahissant son palais. Elle renifla, s'essuya les yeux en les frottant de ses pattes sèches et couvertes de terre – mais pas de sang, pas cette fois. Elle fit semblant de cacher ses larmes, qui pourtant étaient bel et bien faites pour attirer. Elle voulait qu'on ait pitié d'elle, le pauvre chou, ce fragile rongeur aux airs angéliques qui cherchait tant la protection de ses pairs.

"E-excusez mon émotivité. Je... j'aimerais pouvoir en faire autant que vous, et garder espoir. J'essaie, de toutes mes forces, mais c'est hélas trop dur par moments…"

Ce qui était trop dur, c'était cette faiblesse qu'elle affichait. Se mettre dans la peau d'une proie payait, mais était lourd de conséquences. La frustration, la colère et la peur d'agir comme une victime qu'elle n'était pas et de jouer avec son apparence inoffensive, si facile à briser dans tous les sens possibles, commençait à devenir insupportable. Du calme, Soreye. Dans quelques minutes, elle en rirait, se marrerait comme un Wailord lorsqu'elle aurait fait de la Roserade un pigeon. Un rire douloureux, amer. Mais un rire quand même, et c'était bien.

"Ahem. Navrée, vraiment. Je devrais garder la tête haute... et vous ressembler. Vous avez l'air bien plus solide que moi."

Une voix toujours aussi aigüe, douce, enfantine. Qui l'aidait beaucoup à passer pour un misérable souriceau. Elle essuya ses larmes, mais son pelage demeurait trempé. Immonde.