Patrouille sur les frontières...

De ses yeux mi-clos qui laissaient à peine voir le pourpre de ses iris, Aeka fixait le ciel, confortablement allongée dans le gazon touffu. Elle profitait un peu de la douce chaleur du soleil, de la brise qui balayait la prairie, et des odeurs printanières qui lui chatouillait la truffe, soulagée d’avoir enfin un moment à elle. A vrai dire, raconter d’où elle venait à la Reine Solaris, fraîchement trahie, mais aussi à son bras droit, Nyurü, connue pour être extrêmement méfiante depuis ce retournement de situation, n’avait pas été chose facile. D’ailleurs, la Mistigrix l’avait faite surveillée, ce qui était tout à fait compréhensible pour la Pokémon, car son caractère ne laissait pas penser une amélioration morale. Pour elle, ces instants consacrés pour la noble cause qu’était de se prélasser étaient parfaits. Ou presque. Car à côté d’elle, de façon répétitive, le tintement aigu des lames s’entrechoquant résonnait, lui harcelant les oreilles tel un requiem. Elle avait beau se plaindre, les déconcentrer, les énerver, même les harceler, messires les preux chevaliers ne pouvaient s’empêcher d’échanger quelques coups d’épée. Je devrais bien m’y habituer, de toutes façons. Je suis coincée ici pour un bout de temps …

Le silence s’installa brutalement. Les bruits de combats avaient cessé, laissant le bruissement des feuilles les remplacer en tant que fond sonore. La renarde crut presque en un miracle d’Arceus, elle qui pensait que ses camarades ne connaissaient pas l’absence de son. La Roussil se redressa, curieuse de savoir ce qu’il fallait faire pour les plonger dans ce mutisme. Ses prunelles remarquèrent rapidement la petite forme plantée parmi les paladins. Courte sur pattes, la Pokémon était couverte d’un léger duvet crème. Mais ça, la goupil y faisait moins attention. En effet, tous les regards se posaient sur la mâchoire cendrée qui ornait la petite tête de l’être, et si ce n’était pas cette deuxième bouche qui pouvait vous gober sans problèmes, c’était ses deux yeux vairons qui toisaient durement les autres. Héra.

« Chevaliers, en rang devant moi ! ordonna-t-elle froidement. Sauf ceux qui s’entraînent, je préfère m’occuper des glandeurs … »

Glandeurs ? Quelle façon si charmante de nommer des personnes préférant dépenser leur temps dans des activités pacifiques plutôt que de participer à un tapage causé par des excès de barbarie. Plusieurs preux qui s’étaient reconnus dans l’insulte se pressèrent tels des Ponchiots apeurés devant leur supérieure, préférant détourner leur regard de celui bicolore de la commandante. Elle se joint d’un pas nonchalant aux autres, gardant la tête droite. Qu’il reste un peu de fierté parmi ce tas de bras cassés. La Mysdibule parcourut de ses iris la ligne formée devant elle, et, remarquant le sourire qui se peignait sur son visage beige, on comprit qu’elle avait choisi la future proie de ses tortures.

« Dégagez, sauf toi, Aeka. »

Elle jura à voix basse. Pour éviter de se coltiner Héra : faire la soumise et ne pas penser à son honneur. La Roussil regarda les autres s’en aller en laissant échapper des soupirs de soulagements. La commandante, elle, la fixait, sourire aux lèvres.  

« Tu viens avec moi patrouiller aux chutes Enivrantes. »

Les chutes Enivrantes ? Sérieusement ? La renarde soupira. Qui voudrait patauger sur ces roches lisses et glissantes sans intérêt ? Elle remarqua que la Mysdibule l’observait de bas en haut, comme si elle la jugeait.

« Cela te permettra de résister à ta faiblesse : l’eau. »

Ah. Là, elle comprenait tout de suite mieux. La goupil avait vu la Pokémon Mâchoires détailler tout le monde jusqu’à se stopper sur elle. Elle, qui était de type feu. Vraiment ? C’est à ça qu’elle veut jouer ? Elle plissa les yeux. Pas par contrariété, non. Plutôt par amusement. Peu de gens rentraient dans son petit jeu. Et tous en sortaient vexés, énervés et dégoûtés. Ce n’est pas la commandante qui ferait exception.

« Préviens-moi quand tu es prêtes, mais ne prends pas trop ton temps. »

Héra lui tourna le dos, apparemment satisfaite. Aeka, elle, contrairement à ce qu’on pouvait penser, elle l’était aussi. Qui sait, cela pourrait être intéressant, malgré les cailloux mouillés sur lesquels elle devra poser les pattes. Qui sait …

La Pokémon feu se retourna vivement, se déplaçant jusque dans la tente pourpre dressée en son honneur. Le souk qui régnait dans son campement ne la dérangeant nullement, elle trouva rapidement ses deux longues dagues fétiches, dont elle admira un court instant l’aiguisage qu’elle n’avait pas cessé de parfaire. Elle prit aussi quelques baies, au cas où elles tomberaient sur des intrus, même s'il y avait peu de chances. La renarde abandonna son bazar à l’ombre du petit chapiteau et chercha du regard l’itinéraire empruntée par son supérieure. Elle n’eut pas besoin de chercher longtemps : les petites pattes de la Pokémon ne lui offrait pas une mobilité rapide et elle n’était pas très loin de la prairie, battant encore l’herbe d’un pas ferme tout en observant les coups échangés par les chevaliers. La Roussil n’eut que quelques enjambées à faire pour se retrouver aux côtés de la Pokémon fée.

« C’est bon fit-elle. Je suis prête. »

La commandante se tourna vers elle. Aeka ne put s’empêcher de noter ses attitudes, essayant d’observer les failles qui laissaient voir un comportement normal de sa part. Avant de se mettre correctement en face du chevalier, elle réussit à remarquer l’esquisse d’un sourire qui s’était dessiné sur son visage il y a peu. Une véritable risette, puisque son visage se raidit à l’instant qui suivit.

« Enfin, t'en as mis du temps ! fit-elle. »

Elle cherche de quoi se redonner de la contenance : elle a dû remarquer que je l’ai vu sourire. C’était la seule analyse valable qui pouvait expliquer cet empressement, vu qu’elle était d’un naturel calme. La Mysdibule parut se concentrer sur les environs, oubliant presque un instant le chevalier qui se tenait derrière elle. Elle songeait certainement que le silence couvrirait ce relâchement dans sa dureté.

« Nous allons traverser la Forêt Enchantée, pour ensuite nous diriger vers la Rivière Vive, et donc les Chutes Enivrantes annonça-t-elle pensivement. Notre entraînement là-bas ne sera pas une partie de plaisir, j'espère alors pour toi que tu t'es bien préparer... Psychologiquement, hein ? »

Psy … Quoi ?! Le sourire déjà présent sur le visage de la renarde s’étira mesquinement à la seconde qui suivit. Comme si elle allait se décomposer devant ces petites menaces ridicules.  

« Tu crois sérieusement que trois roches glissantes et de la flotte me font peur ? »

Elle rit de plus belle, haussant la voix de telle façon que même ses semblables restés au camp pouvaient l’entendre. La Pokémon acier soupira, son exaspération emplissant l’être fauve de fierté, avant d’entreprendre le trajet.

La bise, qui balayait la clairière, pu bientôt déchainer son souffle dans les feuilles des arbres, laissant entendre le doux bruissement ramage qui remplaçait avec plaisir les coups d’épée. Le paysage dégagé fit place à la zone boisée, dont le ramage tamisait les rayons du soleil.

Agréable. C’est ce qui venait en premier à l’esprit de la Roussil. Même si les troncs peu espacés favorisaient la pousse de branches encombrantes au niveau du duo, son jugement ne changea pas. A vrai dire, avec un peu de savoir-faire et d’habileté, il n’était pas bien dur de les éviter. Portant son regard pourpre vers les alentours, elle remarqua que plus loin, se trouvait un chemin qui sillonnait le bois. Je ne dois faire aucun commentaire, je suppose. Ses yeux se rivèrent automatiquement vers son guide. Je suis sûre que si je lui fais remarquer, elle prétextera qu’elle voulait me tester. Le chevalier étouffa un rire, qui fut suivi d’autre. Sans peine, elle remarquait les mimiques que son supérieur s’efforcer à cacher pour ne pas montrer sa douleur. Par exemple, ses poings se serraient à chaque fois que l’immense mâchoire cendrée butait contre les pierres sur le sol. Ou bien les petits bruits sourds qui s’échappaient de sa bouche lorsque les branches lui fouettaient le visage. Et avec ça, les autres sont morts de peur dès qu’ils la voient !

Tandis qu’elle se régalait de ce spectacle qu’elle pourrait dire idyllique, sous ses pattes, les touffes d’herbes se raréfièrent, se cachant entre de multiples galets et, de façon soudaine, elles passèrent l’orée de la forêt. Le changement de contraste et de luminosité aveugla quelques minutes la renarde, mais bien vite, ses prunelles écarlates s’y habituèrent.

Une rivière, comme son nom l’indiquait si bien. Coulant avec abondance sur la roche, l’eau, d’un cristallin stupéfiant, s’étendait sur une large superficie. Entre les clapotis incessant du ruisseau, elle pouvait ouïr le grondement de la cascade qui se jetait plus loin. Les lieux auraient l’air plus apaisant si Héra n’était pas là. Son sourire s’étira de nouveau. Elle s’avança légèrement, quand elle entendit de nouveau la voix de son supérieur résonner.

« Dit moi, sais-tu nager ? »

Aeka se tourna de façon sèche, ses prunelles se glaçant à l’entente de cette question. Si l’eau ne la dérangeait pas plus que cela, elle n’avait jamais pris la peine d’apprendre à nager ! Mais il ne fallait pas laisser paraître des failles.

« Et toi ? Ce serait dommage d’apprendre que la commandante ne sait pas nager. Le peu d’estime que les autres ont pour ta personne baisserait beaucoup railla la renarde, reprenant un ton mielleux. »

+++:

Satisfaite, Aeka l’était. Vu l’expression surprise de son supérieur, celle-ci ne devait pas s’attendre à son irrespect envers elle, se faisant obéir au doigt et à l’œil par les autres chevaliers. A vrai dire, depuis le début, elle ne se considérait pas comme les autres chevaliers. Elle les trouvait bien trop barbares pour être des représentants d’un rang si noble, et trop peu ouverts d’esprit, aussi. C’était bien pour cela qu’elle ne se mêlait pas à eux : elle voulait préserver ses idées. Le rire d’Héra la tira de ses pensées. Elle rit ? Moi qui croyais devoir me coltiner une punition pour insolence envers un membre haut gradé. Elle remarqua le sourire sur les lèvres de la Mysdibule, et pour quelqu’un d’aussi inexpressive qu’elle, cette risette voulait dire beaucoup. La Roussil observa sa gestuelle. La commandante n’était ni crispée, ni vexée, comme le montrait ses mains restée détendue le long de son petit corps, et l’étincelle malicieuse qui dansait dans ses prunelles bicolores montrait qu’elle était plus amusée par le numéro qu’offrait le chevalier qu’offensée. Une distraction. Je la distrais.

« C’est vrai que ce serait embêtant que je ne sache pas nager. Si mes chevaliers l’apprenaient, ou bien même Nyurü, je serais la risée de Primera ! »

Ne t’inquiète pas, les rapports entre nous ne changerons pas à cause de cela, puisque je te considère déjà comme tel se retenait de dire la renarde. Mieux valait ne pas la provoquer tout de suite, ce serait fâcheux.

« Ce serait la fin, pour moi … »

Alors qu’elle était de dos, elle se retourna vivement vers le chevalier, empoignant son visage pour l’abaisser à sa hauteur. A vrai dire, pour que cela marche, il fallut que la Pokémon se plie la colonne vertébrale en deux, sinon, il était impossible pour elle de se mettre à la hauteur de la créature beige.

« Mais saches que, à ton plus grand malheur, je sais nager. Alors je te conseillerai vivement de faire ce que je te dis, car de nous deux, celle qui a le plus d’autorité sur l’autre, ce n’est sûrement pas toi. »

Saches, ma chère, que l’autorité sur autrui vient du respect éprouvé pour quelqu’un par autrui. Or, je préfère ne pas gaspiller ma considération pour toi. C’était en général de cette manière que la renarde gardait le contrôle d’elle-même, ou plutôt de son masque. En ridiculisant les autres soit mentalement, soit verbalement. Néanmoins, la petite chef descendit encore la tête du fennec d’un niveau, de façon à ce que sa bouche puisse être près de son oreille. Je lui enverrai la facture de ma consultation chez le kinésithérapeute.

« Et si tu oses t’opposer à mes ordres, pas même Nyurü ou Solaris ne pourront te sauver de la fin tragique qui t’attendra. N’oublie jamais cela. »

La Mysdibule relâcha son emprise sur le chevalier. Une menace ? Tandis que la commandante lui tournait de nouveau le dos, elle se retint de rire. Elle ne savait pas vraiment ce qui l’empêchait à ce moment même de se rouler par terre, mais elle évita tout de même de le faire. Mieux valait pouffer, elle pouvait se relâcher sans que son supérieur s’en rende compte. Néanmoins, cela reste une menace. Et si, pour elle, le fait que ses confrères apprennent qu’elle ne sait pas nager, ce serait la fin, alors qu’ils apprennent qu’elle prolifère des menaces … La Roussil garda cet argument pour elle. Elle pourra le ressortir lorsqu’elle sera dans la mouise, ou au tribunal. Ça pourrait toujours lui être utile. Son regard pourpre se dirigea vers Héra. Celle-ci regardait le cours d’eau, comme si elle sondait son reflet. Elle se rend compte qu’elle a été ridicule ? Aeka allait se remettre à rire, lorsqu’elle remarqua les poings serrés de la Pokémon Mâchoires. Est-elle vexée que je ne la prenne pas au sérieux ? Elle a remarqué que je me moquais d’elle ? Ou bien … La renarde sourit. Finalement, peut-être que l’espèce de sainte-nitouche qui dirige l’armée sous les ordres de Solaris et de son bras droit n’était pas si parfaite que cela. La petite créature se retourna vers elle, ses yeux clos laissant penser au calme qui reprenait possession d’elle.

« Bon, Aeka, j’accepte de te laisser deux possibilités. »

J’accepte ? Mais accepter quoi ? Je lui ai rien demandé, moi ! Néanmoins, elle ne la contredit pas. Elle était curieuse de savoir ce qu’on lui proposait.

« Soit tu essayes de rester dix à vingt secondes sous l’eau et de traverser la rivière à la nage, soit … »

Héra dégaina sa double-lame de son fourreau de cuir, la pointant vers la renarde qui, par pur reflexe, fit un bond en arrière. Je devrais dire à Nyurü que c’est dangereux de laisser des ciseaux à des enfants.

« Soit tu essayes de me battre ! Mais alors, saches que je serais sans pitiés ! »

La Mysdibule pencha la tête sur le côté, affichant un grand sourire aux airs sadiques. J’imagine qu’elle préfèrerait que je me battes, pour la distraire.

« Alors ? Nager, ou combattre ? »

Les deux propositions n’offraient que du plaisir à la créature beige. La commandante pensait certainement obtenir satisfaction, quel que soit le choix du chevalier, pensant soit voir le fennec des flammes se débattre de façon ridicule dans les eaux, soit avoir son combat journalier. Malheureusement pour elle, la Roussil savait nager elle aussi, mais l’idée de barboter dans une rivière qui, après deux nuits très fraîches, devait être glaciale ne l’enchantait guerre. Néanmoins, elle eut envie de jouer, d’effacer ce sourire des lèvres de la Pokémon Mâchoires.

« Entre nager et combattre, le choix est simple, pour quelqu’un qui sait nager. »

Aeka s’avança vers le ruisseau, et fit danser une de ses pattes dans le courant. Comme elle l’avait deviné, l’eau était froide et la force du cours d’eau grande, normal vu qu’elles n’étaient pas loin des Chutes Enivrantes. Si la source avait été ambiante, elle aurait volontiers voulu s’y baigné. Quoique, elle pouvait toujours remédier à cela : c’était une Pokémon feu, elle pouvait réchauffer n’importe quoi ! Mais cette option userait bien trop d’énergie, et ses forces étaient moins nombreuses que les litres d’eaux tombant de la cascade.

« Ce qui, et je pense que tu l’ignorais, est mon cas. » ajouta le chevalier en lui envoyant un regard provocateur.

Le sourire affiché en permanence sur les lèvres de la renarde s’étira. Elle replongea ses prunelles dans le ruisseau, y sortit son membre avant de faire de l’hypothermie et se tourna brusquement vers son supérieur, posant une main sur sa hanche.

« Mais l’alternative la plus alléchante pour quelqu’un lassé de la monotonie des beaux jours est bien celle du combat. »

Elle porta ses doigts habiles aux deux longues dagues rangées dans les fourreaux de cuir et bronze qui étaient accrochés à elle par un système de ceinture, avant de saisir les manches en argent. Elle sortit les lames de leurs étuis, laissant le soleil souligner le détail du forgeron jusqu’à leur aiguisage.

« Et je suis aussi dans cette caste-là. »

Comme pour ponctuer sa phrase, Aeka envoya son couteau s’encastrer dans l’arbuste derrière la commandante, la frôlant presque.

« Alors, battons-nous jusqu’à-ce que l’une d’entre nous agonise. »

Elle avait bien appuyé sur le verbe ‘agoniser’, pour que l’une d’entre elle n’ait pas l’idée d’éventrer l’autre, ce qui ferait tâche à la réputation primerienne. A l’aide de Psyko, elle fit revenir poignard à elle, manquant de nouveau de toucher Héra, et dans un murmure, elle glissa :

« Et je n’ai pas l’intention d’être au bord de la mort de sitôt. »

Juste après ces mots, elle se mit en garde, laissant la première offensive à son supérieur.

P.S :

HAN.: