Keerah marchait, sans but précis, dans le village. Ses yeux allaient et venaient entre les bâtisses, effleurant les pierres, survolant les pavés. On ne pouvait pas qualifier l'endroit de "propre", mais, libre de tout être vivant, il n'était pas sali. Une aura de mystère se dégageait de cet endroit où le lierre et la rouille étaient souverains. La jeune Kirlia avançait, dévorant les alentours des yeux. Son visage, habituellement de marbre, semblait s'éclairer. Cet endroit, qui aurait dû lui paraître morne, sans vie, elle le voyait comme de derrière un miroir. Il lui semblait voir des badauds marcher dans les ruelles, autrefois animées. Elle avait l'impression d'entendre des cris, des rires, de la musique. Les maisons noirâtres devenaient blanches, rouges, jaunes, les balcons se couvraient de fleurs et l'air de leur odeur suave. Tout vibrait de vie, comme dans le village de son enfance. Elle retrouvait les parfums, les sensations de l'époque où elle n'était qu'une petite Tarsal. Et, enivrée dans ce mirage de son esprit, elle avançait.
" Keerah. Reprends-toi. "
Et tout se brisa. En un éclair, le village redevint comme il était, noir et glacé. Toute la magie avait disparue, il n'était plus qu'une misérable ombre d'où pointaient des toits délabrés. Il n'était plus rien. Lentement, le visage de Keerah redevint sombre. La réalité avait toujours été dure pour elle, mais le plus difficile, c'était d'en partir et d'y revenir. C'était pour cela qu'elle n'aimait pas rêver. Se dire que dans sa tête existait un monde différent, meilleur... C'était trop dur. Elle lâcha un soupir résigné, et continua sa marche. Désormais, elle était aux aguets. Si Reïz l'avait faite revenir dans le village tel qu'il l'était, c'était pour une bonne raison. Elle avança à pas feutrés, les pattes sur ses cornes, tentant ainsi de percevoir la moindre présence. Mais tout était calme. Un vent glacial soufflait dans les ruelles, faisant siffler les devantures grinçantes. Et, brusquement, l'une d'elle tomba, provoquant un vacarme assourdissant. Keerah s'écarta d'un bond et se mit à courir. S'il y avait le moindre Pokémon dans le village, elle allait avoir des ennuis.
Sans s'en rendre compte, elle passait par les rues les plus sombres, les plus étroites. Elle courait sans un bruit, ses pieds frôlant le sol, s'éloignant le plus possible de la ruelle où l'enseigne était tombée. Au bout d'un certain temps, elle s'arrêta, haletante. Son petit corps n'était pas fait pour l'activité physique, mais elle ne pouvait pas courir le risque de se faire attraper. Si elle rencontrait un Pokémon malintentionné, comment pourrait-elle se défendre ? En observant lentement l'endroit où elle se trouvait, qui semblait être une place, elle serra les bandages le long de ses bras. C'était un geste qu'elle faisait sans s'en rendre compte, machinalement, car elle préférait ne pas exposer au regard des autres ses cicatrices. La place était déserte, comme le village. Ici et là gisaient quelques structures, effondrées et rouillées. Et puis, non loin, au sol... Keerah dut retenir un haut-le-cœur. Elle plaqua une patte sur sa bouche, autant pour s'empêcher de vomir que pour exprimer son horreur. Devant elle, désarticulé, à moitié dévoré, un Rattata regardait le ciel sans le voir. Ses yeux, écarquillés, étaient recouverts d'une pellicule blanche. Sa gueule s'ouvrait en un ultime cri de terreur. Ses pattes étaient raides, et il lui manquait les entrailles. Keerah se détourna, ne pouvant contempler cette horreur plus longtemps. Elle ne voulait pas savoir le pourquoi du comment, elle voulait juste s'éloigner de cette chose.
Elle continua son chemin silencieux. Brusquement, elle leva la tête. Une odeur douceâtre, un mélange de sucre et de terre lui prit le nez. Elle toussa, écœurée. Qu'est-ce qui pouvait dégager une odeur aussi étrange ?