« Vous voulez construire un cirque ici ? Et puis quoi encore ?! Vous comptez aussi construire un harem, tant qu'on y est ?! »

Les temps changent, et bien plus vite qu’on ne le pense. Quatre printemps s’étaient écoulés depuis que le Croque Mitaine avait quitté ces terres. Même pas une demi-dizaine d’année que le royaume s’était déjà déchiré de part en part. Les deux filles de l’ancien Roi rivales et ennemies dans une guerre de pouvoir … Pff ! Qui l’eut cru ?
Jack’O soupira, frustré et dépité. Arrivée aux frontières de Primera, la troupe était bloquée par un groupe de garde complètement bourrus qui refusaient de les laisser passer.

-D’solé Msieur. Mais vous avez aucune autorisation pour venir ici. Et puis on peut pas laisser entrer tous les clowns du coin, on aura des problèmes si des Renégats s’infiltrent.

L’illusionniste ravala une réponse acerbe. Mieux valait ne pas les mettre en rogne s’ils voulaient entrer un jour ou l’autre. Mais tout de même quel culot ! Du temps de l’ancien roi, le cirque de l’Autre Monde n’avait pas besoin de stupides laissez-passer pour entrer, l’invitation officielle de la Reine était largement suffisante ! Mais Jack’O se doutait bien que ce ne serait pas aussi facile qu’auparavant depuis qu’il avait entendu les nouvelles sur la rébellion de la princesse Luna. Mais quand bien même ! Cette situation le mettait hors de lui !
Derrière lui, ses artistes attendaient, anxieux et soucieux du prochain endroit où le chapiteau sera planté. Le Branette ne pouvait décemment pas les laisser comme ça. Il mit sa manche sur ses tempes pour s’éclaircir les idées. S’il ne pouvait pas y aller tous ensemble, alors il irait le demander tout seul se fichu laissez-passer !
Il se rapprocha à nouveau des gardes qui le regardèrent  d’un air méfiant. Certain préparèrent leurs armes au cas où le petit Pokémon Spectre se ferait trop insistant.

-Allons allons Messieurs ! J’ai une proposition à vous faire. Parlons-en de manière pacifique voulez-vous ?

La voix de l’illusionniste était mielleuse mais peu sure d’elle. Toutes ces lances et ces épées braquées sur lui le rendaient nerveux, et même après sa tirade, les soldats ne bougèrent pas d’un iota. Un sourire crispé se figea sur le visage du petit magicien, décidément, ces bruts ne savaient pas ce que le mot « courtoisies » signifiaient.

- Hm … Bien … Si c’est une autorisation d’entrer sur le royaume de Primeria avec ma troupe qu’il vous faut, alors serait-il possible que j’y entre seul le temps d’en demander une à votre reine ?

Alliant des gestes de politesses exagérés à ses paroles, Jack’O espérait que cette idée leur suffisent pour le laisser passer. Les gardes se regroupèrent en conciliabules pour trancher sur la décision finale. Après plusieurs minutes qui parurent durée des heures pour le magicien, le cercle de soldat s’ouvrit et l’un d’eux s’avança.

- C’est bon vous pouvez passer. Il y a une navette de l’autre côté de ces murs qui vous amènera jusqu’à la capital. Et les autres restent ici. Finit-il sèchement.

Soulagé, le Branette hocha la tête puis ordonna à sa troupe de prendre soin des roulottes le temps qu’il revienne. Sitôt les sermons terminés, il se mit en route vers le château de la reine blanche à bord d’une diligence tirée par des Ponytas qui faisait office de bus.

Après plusieurs heures de voyage plutôt inconfortables, Jack’O fit enfin face à l’immense bâtisse de pierre. Il n’avait pas du tout changé depuis la dernière fois, et pourtant l’atmosphère semblait plus lourde, plus oppressante.
L’illusionniste n’eut aucun mal à atteindre le hall d’entrer. Les gardes des alentours semblaient pressés et ne se soucièrent guère du petit Pokémon Spectre, si bien qu’ils le bousculèrent sans lui prêter la moindre attention. De peur de passer pour un infiltré s’il essayait de s’aventurer plus loin, Jack’O resta dans le hall en tentant vainement de capter l’attention de l’un de ces idiots pour l’amener vers leur supérieur. Puis sans prévenir, une naine à double mâchoires se posta devant lui, une lame pointée sous sa tête.

- Qui êtes-vous, et que faites-vous ici ?

Son visage était dur, le regard impénétrable. Pour le coup, Jack’O resta sans rien dire quelques secondes le temps de reprendre ces esprits, puis reprenant du poil de la bête, il prit son air habituel de beau parleur à la voix aimable et polie pour répondre à cette … Mysdibule si sa mémoire ne lui jouait pas de tour.

-Ah ! Vous tombez bien ! Je cherchais à parler à un de vos collègues mais ils avaient tous l’air débordés. Posez ce couteau s’il-vous plaît … Finit-il presque en chuchotant.

Ses gestes et son ton se voulaient amicaux malgré un petit rire nerveux qu’il laissa échapper en voyant lame. Il était important de ne pas se montrer hostile envers des soldats rarement pourvus d’une intelligence quelconque.

-Pouvez-vous m’amener vers votre commandant je vous prie ? J’aimerais m’entretenir avec lui le plus rapidement possible.

Certain que la personne à qui il faisait face était une soldat tout à fait banal, le petit Pokémon Spectre attendit sa réponse avec une certaine dose d’appréhension.

La soldat analysa l’illusionniste fantôme de la tête aux pieds sans bouger. Ses yeux vairons semblait lire au plus profond de lui. Menace ou pas menace ? Jack’O espérait vivement le deuxième choix. En retirant la lame de la gorge du magicien, La Mysdibule trancha et répondit d’une voix sèche qui ne surprit pas son interlocuteur :

- La commandante, mon cher. Suivez-moi.

Ouf … Un autre obstacle de passé. L’apparence de Jack’O ne sembla pas lui avoir porté trop de préjudice cette fois-ci. La soldat se retourna et se glissa entre les couloirs, le magicien la suivi sans autre parole tout en observant les alentours. Il remarqua que plus ils avançaient, plus l’endroit était vide, inoccupé par les centaines de domestiques du château affairés ailleurs. En y pensant, Jack’O eut un haut le cœur. *J’espère qu’elle compte vraiment m’amener vers la commandante, sinon je suis dans de beau draps …*
Puis sans crier gare, la Mysdibule s’arrêta et se retourna, surprenant le petit illusionniste qui faillit lui rentrer dedans. D’un air méfiant, elle regarda tout autour. Droite, gauche, derrière Jack’O, en haut, toute la pièce fut analysée silencieusement, comme si la soldat cherchait quelque chose. *Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ?...* Une tonne d’hypothèses traversèrent la tête du Croque Mitaine, allant de la torture sur sa personne à l’archétype du soldat bourré se prenant pour un révolutionnaire en passant par l’infiltré Rénégat. En réponse à son appréhension, la voix métallique et dure de son interlocuteur résonna dans le couloir vide :

- C'est moi la commandante. Que me voulez-vous ? Après avoir à nouveau analyser le couloir rapidement elle continua. J'espère que vous avez une très bonne raison de me déranger...

Un moment de silence s’empara des environs. À nouveau, Jack’O fut pris de court, regardant la Mysdibule d’un air mitigé. Son sourire avait disparu et avait laissé place à une grimace d’incompréhension. Non il ne la croyait pas, car si s’était vrai, pourquoi l’aurait-il amené dans cet endroit désert si ce n’est pour ne pas se faire rire au nez par ses collègues ? Le magicien brisa enfin le silence en lançant sarcastiquement :

- Oui bien sûr …

Le forain avait l’impression de perdre littéralement son temps et soupira de déni. Mais plus il l’a regardait, plus le petit magicien sentait dans son regard de la froideur, mais aussi de l’honnêteté, se rendant compte de son énorme boulette. C’était vraiment la commandante de Primera.
Contre toute attente, Jack’O ne se remit pas dans son rôle de lèche-botte. Au contraire, il était … dépité … et fatigué… Son visage affichait toujours ce regard perplexe et mitigé. Franchement, pourquoi l’avoir fait venir ici alors ?! Ce n’était pas comme si le magicien allait lui demander des informations top-secrètes qui demandaient une discrétion exemplaire. Et si … non. L’illusionniste en avait marre d’essayer d’interpréter. Il était fatigué : la nuit avait été trop courte, le voyage en calèche avait été totalement inconfortable, il ne savait pas ce qui se passait aux frontières avec sa troupe … Bref, cette journée l’avait vidé et l’idiotie totale de ces soldats fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
Il massa ses sinus avec l’une de ces longues manches en tentant de garder son sang-froid. Tant qu’il n’avait pas l’autorisation officielle d’entrer dans le royaume avec son cirque, le Pokémon Spectre ne pouvait s’en aller. Sans prendre ses habituelles gants, Jack’O répondit enfin au Pokémon acier, brisant le silence qui s’était à nouveau installé trop longtemps :

- Oui… Bon … J’ai besoin d’un laissez-passer pour faire venir ma troupe de cirque. Le cirque de l’Autre Monde, vous devez probablement connaître.

Son ton était las et avait moins d’émotion que précédemment. Il ne prit même pas la peine de s’excuser pour la bourde d’il y a un instant, espérant que la Pokémon Acier ne dise rien, et surtout parce qu’il n’en avait rien à carrer de l’amour propre de cette commandante.

- Donc il faut que j’aie une audience avec la reine pour qu’elle me le rédige. Il fit une courte pause pour réfléchir. Ou tout compte fait, vous pouvez le faire vous-même, ça nous fera gagner du temps *Tant que ces crétins ne disent rien* pensa t’il en même temps. Il vous suffit juste d’un bout de papier avec votre signature et trois mots. Finit-il dans un semblant de soupir.

Au diable les formules de politesse. Les « Serait-il possible » se transforment en « Il faut que » et les demandes deviennent des ordres dissimulés. Jack’O ne s’en rendait pas compte, sa véritable personnalité reprenant le dessus quand sa patience atteignait ses limites. Toutefois, il avait totalement oublié un minuscule détail : la petite lame derrière le dos de la Mysdibule qui pouvait être dégainée n’importe quand …