Don't play nice, don't give in ft. Munja

Le monde était rouge carmin. Eris regardait fixement le sol, perdue parmi les actions qui venaient de s'enchaîner rapidement. Très rapidement. Encore un peu trop rapidement pour elle. Pourtant tout était clair, et les rares voyageurs qui passaient encore par ce mauvais lieu contournaient leur duo d'un air de dégoût. Ces scènes avaient beau être habituelles, elles n'en étaient pas moins désagréable. Et la Mentali pouvait les comprendre, personne ne se lève le matin pour voir des choses pareilles, à moins d'avoir un sérieux déséquilibre. Elle-même avait des haut-le-coeur. Une grimace tremblotait sur son visage, hésitant entre la colère et le regret. Ce regard qu'il lui avait lancé, les paroles dont elles ne se souvenait même plus. Ca avait été le début de tout ça. Il l'avait regardée avec toute la déception du monde, comme sa mère l'avait fait, en lui disant qu'il s'était trompé sur son compte. Qu'elle n'avait pas de coeur, de toutes façons, qu'elle devrait être Hellhound. Tout ça parce qu'elle faisait de ponctuelles entorses à la morale. Le Pokémon Psy ne l'avait pas supporté. Déjà qu'elle s'encombrait très rarement d'un partenaire, il était hors de question de le laisser devenir un fardeau et la faire envoyer au camp Gamma. Se faire enfermer était au dessus de ses forces.

La marchande leva la tête vers le ciel sombre, dénué de lumière, dénué de sens. Il était tôt dans l'après-midi et pas une trace du soleil. Parfois elle se prenait à vouloir devenir pirate et retourner sur son île natale, mais l'idée s'évaporait rapidement. On lançait des regards curieux dans sa direction, mais elle produisit une onde psychique pour dissuader quiconque d'approcher. Qu'ils aillent se faire foutre pendant qu'elle regardait sa propre violence en face. Le combat s'était effacé de son esprit, mais pas le corps du Feurisson. Ni la brûlure infligée. Les tâches partaient de ses pattes fines, toutes griffes dehors, poisseuses du liquide écarlate. Elle en sentait des gouttes sur son pelage, son poitrail et son museau en particulier. Ses moustaches frissonnaient discrètement, presque avec dégoût. Elle laissa sa queue balayer le sol sans pour autant s'être relevée. Son regard passa au Pokémon feu. Partenaire qui avait eu le malheur de devenir son adversaire. Au moins il savait se battre. Mais elle avait plus d'expérience. La dernière blessure infligée formait déjà des sortes de grumeaux, coagulés sur sa gorge auparavant beige, comme pour cacher la marque de crocs. Il faudrait vraiment faire quelque chose de ça avant qu'on cherche à revendre ses organes, ou quelque chose sordide dans ce genre. La féline aurait aimé un peu de pluie pour se nettoyer, mais se contenta d'observer les alentours, cherchant un Pokémon à interpeler pour lui demander s'il connaissait un fossoyeur.

Les si les murmures l'entouraient, personne n'approchait. Eris se leva, fit le tour du cadavre sans trop savoir quoi faire, l'échine encore hérissée de mauvaise humeur, de mauvaises émotions. Elle contournait le désastre, cherchait à l'enfermer dans un sens, un contexte, une idée. Elle cherchait à le délimiter et en finir. Mais les tâches rouges embrumaient toujours les murs de son esprit, et la Mentali avait beau chercher le mépris elle n'avait qu'envie de vomir. Etait elle même en colère ? Un nouveau haut-le-coeur la prit par surprise. Ravalant douloureusement sa salive, elle s'assit à nouveau, ses pattes collaient au sol. mise bien mal à l'aise par son regard vide, le Pokémon psy finit par approcher de nouveau, baignant ses pattes dans la mer écarlate pour lui fermer les yeux d'un geste lent. Il avait eu le mérite de ne pas lui faire de coup dans le dos, il méritait au moins ça. Elle avait l'impression de brûler sur place, elle retenait un tremblement constant. Finalement la femelle releva la tête pour observer de nouveau les environs. Son onde psychique avait été suffisamment dissuasive on dirait. Bien, ils avaient intérêt à ne pas trop.. mais elle avait pensé trop vite. Un Munja qu'elle n'avait pas vu se tenait bien au-dela de la ligne de sécurité. Qu'est-ce qu'il voulait au juste ? La marchande lui trouva brièvement un air louche, s'il avait un de ces marchés pas nets à lui proposer, c'était non. Mais ces paroles eurent vite fait de la rassurer :

-Bien le bonjour, je suis fossoyeur, verriez-vous un inconvénient à ce que je détruise ce corps ?

Aussitôt le Pokémon Psy se redressa, bien plus disposée à répondre à ce Pokémon. C'était donc le fossoyeur. Pas besoin de l'attaquer en ce cas. Elle lui adressa un sourire faussement triste, baissa les yeux sur le corps sans vie. Oui, il pouvait bien disparaître. Au lieu de les embêter en leur faisant creuser une tombe, ou en pourrissant dans une odeur issue des enfers qui empesterait dans le village entier. Pas que l'endroit soit particulièrement salubre à la base, mais y ajouter de la saleté ne serait certainement pas bienvenu. Elle en détacha rapidement ses yeux brillants de quelques larmes plus ou moins feintes pour se donner rapidement quelques coups de langue sur les lèvres, nettoyant le sang. Le goût métallique entêtant persistait dans sa gueule, mais ce n'était pas vraiment la première fois. Elle essuya les larmes et le sang d'un mouvement vif de la patte avant de regarder l'inconnu en face. Un reste de colère se lisait sur son visage, mais désormais atténuée. Non, elle n'allait pas s'en vouloir pour si peu. Ca serait pas le premier, ni le dernier. Il l'avait blessée, voilà tout. Pas seulement physiquement.

" Oh, c'est donc vous le fossoyeur. "

Dit elle d'une voix douce en hochant la tête, les oreilles pointées vers son interlocuteur. Iris était dans la place. La féline laissait sa queue onduler lentement, son calme revenait progressivement. Son self-control, surtout. Son épaule la brûlait, sa fourrure était noire à ce niveau-là, et la brûlure tentait de descendre dans sa patte. Elle saignait un peu mais ses autres blessures étaient plutôt superficielles, et le muscle n'était pas trop endommagé. Enfin elle l'espérait. Il devait bien y avoir de quoi soigner cette merde dans son sac de toutes façons. Sac qui avait légèrement glissé pendant le combat. Elle le rajusta en tirant dessus avec ses crocs.

"Je vous serais fort reconnaissante de vous occuper de son corps, je ne sais pas exactement ce qui m'a pris mais.. mais il mérite bien un traitement décent."

Ajouta la Mentali d'un air entendu, cordial. L'once de regret était feinte par Iris, Eris quant à elle avait de la considération pour le Feurisson, mais elle savait très bien ce qui l'avait prise. Il l'avait provoquée, il avait retourné le couteau dans une plaie en cicatrisation, et la douleur lui faisait perdre la tête.

La face hermétique du Pokémon ne laissait pas ressortir d'émotion, de question, de doute ou quoi que ce soit, et son interlocutrice finit par se décider pour l'indifférence. La plus pure et la plus froide indifférence. Autant dire qu'il ne lui laissait pas grand-chose à penser. Elle aurait haussé les épaules si la brûlure ne la dérangeait pas autant. Le sac glissait à nouveau d'elle mais il faudrait s'en occuper plus tard. Après tout ce n'était pas elle qui était morte, ici. Mais ça non plus il ne fallait pas y penser. Il ne le méritait peut être pas en fin de compte. Mais c'était trop tard. Et la voyageuse avait bien conscience que sa perte était loin de chambouler quoi que ce soit dans sa vie de tous les jours. Rien de catastrophique pour le moins. Elle ne chercha rien dans les yeux du Munja, il était de la plus profonde absence d'émotion. En même temps il fallait s'y attendre: avoir le coeur fragile, pour un fossoyeur, c'était pas forcément recommandé. Ca n'aidait pas pour le métier. Il lui posa une question purement professionnelle:

-Vous avez une volonté particulière pour son corps enterré ou jeté à la mer ?

Ah, elle qui avait cru qu'il le détruirait réellement. La mer. Un Pokémon feu. C'était tellement ironique. Eris se disait que la mer était un peu loin, et qu'elle n'avait nulle envie de le trimbaler sur des kilomètres pour qu'il serve de repas à un Pokémon marin. Non, ça irait. En plus il finirait écorché et engagé dans une décomposition malodorante, entre-temps. L'idée de le défigurer en plus de l'assassiner lui restait étrangement en travers de la gorge. Non, difficile de fer ça, il fallait l'admettre. Elle fronça imperceptiblement le nez à la seconde proposition avant de se passer quelques coups de langue sur la patte droite qui était encore un peu tâchée d'écarlate. Crade. Mais il n'y avait hélas pas d'eau à proximité pour pallier à ce problème. Parfois elle regrettait de ne pouvoir apprendre Danse-pluie. Certes, d'une féline on ne pouvait pas réellement s'attendre à ce genre de fantaisie, mais l'eau ne l'effrayait pas. Fixant quelques instants encore le fossoyeur, elle afficha une grimace hésitant entre la tristesse et la contrariété. Si un jour elle avait pensé faire ça pour quelqu'un qui n'était même pas de sa famille. Habituellement la Mentali abandonnait les cadavres sans ménagement. C'était lourd à porter, et pas seulement physiquement.

" Je.. je pense qu'il aurait aimé qu'on le brûle, ça serait approprié, commença-t-elle avec un rire triste, mais vous n'avez peut être pas le temps, et je ne connais pas d'attaque feu. "

Une note de déception sonnait dans sa voix. Réelle cette fois. Des cendres et ça en aurait été fini. Des cendre parce que c'était ce qu'il faisait de mieux, de toutes façons. La Pokémon Psy retenait une grimace.

" L'enterrer conviendrait parfaitement, dans ce cas.. oui.. il faut trouver un endroit suffisamment dégagé, ça va ennuyer tout le monde si on le laisse au village.. "

Fit Iris sur le ton de la réflexion, ses prunelles passant des alentours sombres et insalubres au cadavre à ses pattes. Elle ragea mentalement d'avance contre la difficulté en attrapant son ancien allié par la peau du cou. Il était franchement plus lourd que prévu. Un poids mort. Littéralement. Elle l'avait déjà porté mais il l'aidait, à ce moment-là. Finalement utiliser Psyko lui sembla plus pratique, et elle poussa un léger soupir avant de le soulever du sol doucement grâce à ses pouvoirs psychiques. Bien plus facile. Ses yeux étincelaient de pouvoir tout comme on orbe, et elle commença à marcher pour s'éloigner de cette sorte de place.

" Vous venez ? "

Demanda la marchande, marquant une pause dans sa marche vers l'extérieur du village.