Une mélodie empreinte de fausseté… || ft. Neko

Une mélodie empreinte de fausseté…

Une terre désolée, véritable désert de roches plus pointues et menaçantes les unes que les autres, qui se dressaient vers un ciel gris. Voilà le paysage que la Chinchidou traversait ce jour-là. Elle l'avait déjà arpenté à maintes reprises, au cours de ses innombrables voyages – sa vie elle-même était un voyage -, mais il était toujours difficile de trouver son chemin dans des lieux aussi vastes et sans le moindre point de repère. Aux yeux de Soreye, rien ne ressemblait plus à une pierre qu'une autre pierre. Un peu comme les clients, en fait. Seulement, il n'y avait pas le moindre Pokémon en vue, ni victime, ni Poichigeon à arnaquer. Qui viendrait faire ses emplettes ici, de toute manière ? Mais cette solitude ne dérangeait pas le rongeur tant que ça. Au moins, elle n'avait pas à esquisser le moindre faux sourire... Elle pouvait être elle-même, c'est-à-dire grimacer et grogner de tout son soûl sous le poids de sa sacoche et sous la douleur que causaient les pierres pointues pénétrant sa chair tout au long de sa marche.

L'aube venait de se lever, mais les rayons du soleil étaient encore trop timides pour être aperçues. Fût-il à son zénith, on ne l'aurait pas vu non plus, à vrai dire. Des nuages gris sombre masquaient le ciel. Un temps de merde, oui, mais force est de constater que ça convenait plutôt bien à la laideur du paysage. Non seulement il faisait humide, ce qui ne faisait qu'augmenter la douleur de Soreye, mais en plus il ne pleuvait pas. Elle n'aurait pas été contre une petite bruine, pourtant... Ca l'aurait détendue.

Finalement, commençant à fatiguer après plusieurs heures de marche dans un lieu si inhospitalier, elle décida de faire une pause et de s'asseoir un instant. Pas pour se tourner les pouces, évidemment. Autant en profiter pour faire ses comptes, ne rien faire étant un passe-temps généralement associé aux feignasses, et qu'elle ne pouvait se permettre. Saisissant un à un les Pokédollars de sa bourse, elle se mit à les compter, progressivement. Les affaires n'avaient pas été bonnes ces temps-ci... Saleté de centre, et ses clients radins et rares. Si son commerce continuait d'aller aussi mal, elle serait contrainte de se mettre à cueillir des baies dans des bois remplis de voyous pour subsister... Pathétique. Heureusement qu'elle était assez intelligente pour s'en sortir. Elle se tirait toujours de ce genre de situations.

"Allez, Soreye, bientôt tu rouleras sur l'or…" grogna-t-elle.

Elle avait de la bonne marchandise, lourdes certes, mais de valeur. Tout ce qu'elle avait à faire pour renflouer les caisses était de convaincre un client particulièrement naïf et fortuné... Soudain, alors qu'elle remettait le dernier Pokédollar dans sa bourse, elle entendit un son s'élever non loin d'elle. Dressant les oreilles, elle perçut un petit air assez joli, produit pas un instrument à cordes – une lyre peut-être ? Elle n'était pas musicienne... En tout cas, si elle pouvait vendre quelque chose à ce joueur de lyre, quel qu'il soit, ou même lui prendre ce précieux instrument, sa journée serait moins infernale...

Les multiples roches sur le chemin masquaient probablement la silhouette du musicien, mais il suffisait d'écouter attentivement pour déterminer l'endroit d'où émanait le son. Prudemment, elle s'approcha. Tout en laissant sa patte avant glisser non loin du manche du poignard accroché à sa ceinture, sans le saisir pour ne pas éveiller les soupçons, elle adopta une mine innocente, souriante, joyeuse. Son pas se fit de plus en plus dansant, et elle se mit à chantonner l'air qu'elle entendait jouer, de plus en plus proche. Le Pokémon grognon et vulgaire s'était transformé en adorable boule de poils immaculés.

"Excusez-moi ?" fit-elle d'une voix suffisamment mièvre et sucrée pour vous en donner le diabète. "J'espère que je ne vous dérange pas…"

Elle aperçut enfin la silhouette du Pokémon qu'elle cherchait, une sorte de canidé au pelage blanc et azur. Certaines parties de son corps évoquaient de jolis rubans flottant dans la bise qui soufflait ce matin-là. Pour un peu, l'inconnue serait plus adorable que Soreye. Si cela pouvait exister, évidemment... Elle jouait de la harpe, et non de la lyre, mais la Chinchidou ne faisait aucune différence, du moment qu'on en jouait bien.

"Vous jouez si bien ! fit la blanche d'un ton admiratif. Votre mélodie m'apaise l'âme. Je suis sincèrement désolée de vous avoir interrompue, mais votre musique est si jolie…"

Quelle exagération. Certes, la créature – une Nymphali, si elle ne se trompait pas – avait un certain don musical, mais pas de quoi tomber d'émerveillement non plus. Enfin, ça n'empêchait pas Soreye de lui adresser son plus beau sourire, ainsi qu'un regard émerveillé. Cependant, quelque chose clochait avec le canidé, et elle avait du mal à mettre la patte dessus. Ah, mais oui !

"Oh ! Vous êtes chromatique ? Votre pelage est magnifique ! Vous en avez de la chance !"

Le faux émerveillement qu'on pouvait lire dans ses grands yeux bruns se fit plus visible encore. Vanter la beauté de quelqu'un alors qu'on était soi-même sûr de ses charmes et qu'on les exploitait allègrement était certes légèrement gonflé, mais du moment que cela payait...

Ayant clairement mal au dos, Soreye lâcha le baluchon contenant sa marchandise et s'allongea sur le ventre, sa tête entre ses pattes avant, pendant que sa queue tordue s'agitait lentement. Attendait-elle que la musique reprenne ? A moins qu'elle ne guette simplement la réaction de son interlocutrice...  

Une mélodie empreinte de fausseté…

Soudain, la Nymphali cessa de jouer. Elle qui n'avait pas réagi aux paroles de Soreye, finit par lui adresser un sourire en lui répondant :

"Merci vraiment, merci on ne m'a jamais fait autant de compliments et surtout celui sur mon pelage... Vraiment ça me touche. Je me nomme Neko et vous ?"

Ce qu'elle parlait vite ! Quitte à hacher ses mots. Enfin, Soreye était toujours à l'affut, comprendre ce qu'elle disait n'avait rien de difficile. Son regard rouge et brillant était plein de reconnaissance. C'était adorable, vraiment. Et Soreye aurait été émue... Si elle faisait confiance aux apparences, et peut-être aussi si elle avait un cœur tendre. Puis, la Chinchidou remarqua que son interlocutrice touchait furtivement un petit objet brillant accroché à son cou. Elle essaya de ne pas trop fixer le poitrail de la bleue, afin de ne pas avoir l'air suspecte. Tout de même, les objets brillants attiraient toujours son attention. La raison était simple, leur valeur généralement assez conséquente. Finalement, elle préféra se tourner vers l'instrument. La harpe était plutôt petite, et elle semblait légèrement étrange, et non à cause de sa taille inhabituelle. Soreye ne parvenait cependant pas à mettre la patte dessus. Distraitement, alors qu'elle cherchait ce qui clochait avec l'objet, elle répondit :

"Euuuuh... Désolée, je suis un peu dans la lune. La fatigue, tout ça ! Moi c'est Soreye."

Elle se retourna vers la Nymphali, de peur de la froisser en l'ignorant ainsi. Puis elle ferma les yeux, comme pour mieux profiter de la musique qui avait cependant cessé de jouer.

"Neko... Neko, c'est mignon tout plein. Et de rien pour les compliments ; je n'ai jamais vu de chromatiques auparavant, c'est assez impressionnant, j'imagine !"

Soudain, elle eut une idée. Elle rouvrit les yeux et se précipita vers son baluchon, s'arrangeant pour que sa masse de poils blancs masque presque intégralement les armes qu'elle vendait. Elles étaient petites cette fois-ci, il n'y avait donc pas de souci à se faire. Elle avait notamment emporté des petites babioles colorées, qui plairaient sûrement à la personne qu'elle avait en face d'elle. Mais chercher à l'arnaquer de cette manière serait malhonnête ; ces bracelets et autres talismans n'avaient de valeur que pour le pire des illuminés, désespérés reposant sur leurs croyances envers les légendaires inactifs et paresseux dans l'espoir que ceux-ci viennent régler tous leurs soucis. Quels idiots. Si elle ne se maitrisait pas totalement, elle aurait sans doute poussé un grognement rien qu'à l'idée de se retrouver en face de personnages aussi agaçants. Non, le rongeur ne voulait pas lui vendre quoi que ce soit. Ca n'avait aucun intérêt, pour l'une comme pour l'autre. A la place, elle sortit une baie du baluchon entr'ouvert, se remit face à la damoiselle azur, et lui tendit le fruit des deux mains, un grand sourire peint sur ses traits ronds.

"Tiens ! Il n'y a pas beaucoup à manger sur ces plaines, donc je me demandais si tu avais faim ?  Je suis marchande, alors je devrais te la vendre... Mais je t'en fais cadeau ! Hihi, tu as bien de la chance d'être aussi sympathique."

Chance ? Ce n'était peut-être pas le mot. Mais ça, mieux valait ne pas le révéler. Soreye se remémorait le pendentif qu'elle avait vu. Puis la harpe. La lueur de l'un, la musique dissonante de la seconde – voilà, c'était bien le problème. Le son n'était pas normal. A moins qu'il ne reste quelques lacunes à la damoiselle ? Bah, elle n'en avait pas grand chose à faire...