Mynos aurait souhaité être ailleurs. Les effluves qui lui parvenaient, mélange de douleur (dûe aux blessures causées
dans la bataille) et de découragement (engendré par les dernières paroles du Spectrum avant sa disparition) provoquait en lui une confusion mentale désagréable. Mais il ne pouvait s'empêcher de laisser son esprit ouvert, tandis qu'il déambulait parmi les ruines et les tentes, abris de fortune dressés par les résistants et les civils rescapés.
Il imaginait déjà, dans l'avenir, comment les livres d'histoire décrirait la détresse et la misère, conséquences d'une rude bataille à laquelle ils donneraient un nom comme seuls les historiens peuvent en imaginer. "
la bataille des Minotaupes Obscurs de la plaine du Crépuscule de la (etc.)", sonnerait bien, mais les lecteurs auraient du mal à se rendre compte, au milieu des chiffres tels que "
une dizaine de morts, des milliers de blessés exsangues réfugiés dans un camp délabré et sale, envahi par la vermine", de l'ampleur de la détresse présente ici, parmi des rescapés épuisés et sans espoir, dont le seul réconfort venait des paroles fatiguées de leurs chefs qui circulaient parmi eux.
Le Kadabra n'éprouvait pas de compassion ni de pitié. Mais il n'était pas indifférent pour autant : il brûlait de curiosité pour les émanations psychiques que dégageaient ces pokémons. Ses recherches sur la nature de l'esprit pokémonien. C'était son seul intérêt dans ce bas-monde, après tout : comment la réalité était-elle reconstruite et déformée par l'interprétation de l'esprit, c'est-à-dire par la pensée. Aussi, au milieu des civils et des résistants exténués, ne pouvait-il s'empêcher de rester ouvert aux émotions qu'il percevait. Il manquait cependant d'entrainement pour percevoir et filtrer les sentiments d'autrui, et cela le déstabilisait.
Ce terrain d'expérience était trop vaste, et trop de cobayes s'y débattaient avec leurs pensées, chacune enfermée dans un crâne, et cependant toutes se mélangeant dans la tête du Kadabra.
Pour lui, c'était cela la réalité : une confluence de douleurs que chacun croyait intimes, mais qui s'influençaient les unes les autres, sans qu'aucun autre que lui n'en ait conscience.
Chacun agissait selon ses propres perceptions, se recroquevillant dans un coin, ou soignant et réconfortant ceux et celles qui étaient recroquevillés.
Or, leurs actes construisaient, par leurs effets, une nouvelle réalité à chaque instant, et comme leurs actes étaient eux-mêmes la conséquence de ce qu'ils percevaient et interprétaient, Mynos y voyaient une confirmation de sa théorie : l'esprit de chacun, en percevant, en interprétant, en agissant, construisait la réalité en intéragissant avec celui des autres, sans s'en rendre compte. La beauté de cette complexité était un régal pour le savant, ce qui le faisait presque sourire au milieu de cette désolation. Il était étrange de voir ce Kadabra, que manifestement la misère et les afflictions ambiantes ne réjouissaient pas plus qu'un autre, sourire alors qu'il se sentait lui même épuisé par les combats, malgré les quelques heures qui s'étaient déjà écoulées depuis la fin de l'affrontement.
Le soir tombait cependant, et l'officier du Hellhound n'était pas en vacances. Il devait retrouver les chefs restants. Apparemment, celui qu'on appelait Altaïr avait disparu - avait été tué -. Mynos avait eu accès à son dossier, à l'époque où il était encore un gradé bien en vue, n'avait pas eu connaissance de sa mort. Sûrement était-elle intervenue après la déchéance du Kadabra, qui avait été rétrogradé et envoyé comme assistant des interrogatoires au camp Alpha.
Il cessa cependant d'y penser lorsqu'il eut repéré le Scalproie vadrouiller parmi les réfugiés, en leur proposant gentiment son aide. Cette capacité à la solidarité, qui finalement ressemblait à une étape primitive de sa propre faculté d'empathie psychique, éveilla à nouveau la curiosité de Mynos, qui se mit à la suivre. Il se souvenait que le pokémon avait eu une attitude de chef durant la bataille. Selon toute vraisemblance, c'était avec lui que le Kadabra devait prendre contact. Or, après avoir accompli sa tournée de *charité*, il se dirigeait vers une tente dressée un peu à l'écart du campement, à proximité des ruines d'un vaste bâtiment. Une tente
gardée, dans laquelle les gardes le laissèrent pourtant entrer.
Le temps de contourner la tente et de coller l'oreille contre la toile, Mynos sursauta lorsqu'il entendit : "
Pfff... Je sais que tu m'entends mais j'espère que tu m'écouteras... Il faut que tu gardes tes forces pour la bataille." Il crut un instant que le Scalproie l'avait repéré et se savait surveillé, ce qui aurait empêché l'officier Heilheimien d'entendre de précieuses informations. Mais la voix continua :
"
J'ai des informations très importante sur le conflit à venir, ces pokémons obscurs proviennent d'un petit groupe de personnes mais déjà leur leader m'a été dévoilé par notre espion. C'est une Goupelin du nom de Naxias qui semble insuffler une sorte de sortilège autour d'elle pour corrompre puis contrôler les pokémons. On m'a aussi révélé ses plans. Elle rechercherait... Des légendaires. Un vieux mythe parlerait d'en réunir 3 spécifiques pour appeler Arceus. Mon informateur ne sait quels légendaires sont demandés..."
Mynos connaissait déjà tout cela, mais le fait que la résistance soit au courant était, en soi, un renseignement de valeur, qu'il pourrait citer auprès de la Cour d'Hellheim pour retrouver la confiance de ses supérieurs et retrouver son ancien ascendant. La conversation semblait au point mort, et, prudemment, l'officier ouvrit de nouveau son esprit pour capter les vagues d'émotions qui émergeaient de la tente. Des ondes de colère se mêlaient à celles du deuil. Le Kadabra les examinait avec intérêt. La voix du Scalproie s'élevait à nouveau, déclarant qu'il savait ce qui était arrivé à leur ancien leader. Mais le Kadabra ne put en entendre beaucoup, car il s'interrompit. Ses ondes cérébrales indiquaient une méfiance soudaine. Mynos avait trop ouvert son esprit, et par mégarde avait dû émettre des vibrations psychiques. Le résistant n'était pas télépathe, mais cela avait néanmoins éveillé en lui la sensation d'une présence.
"
Qui est là ? Montrez vous et peut-être que vous resterez en vie.", s'écriait-il.
Soupirant, le Kadabra murmura pour lui-même
"Parfait, fini de baguenauder, d'écouter. La curiosité scientifique doit faire place aux paroles qui comptent"...
- Me voici. répondit-il tranquillement, et il entreprit de se baisser pour se faufiler sous la toile et entrer dans la tente. En espérant qu'elle ne soit pas piégée - mais il n'y croyait guère, la bataille était encore fraîche et la sécurité des tentes laisseraient à désirer tant que les résistants ne se seraient pas remis de leur victoire à la Pyrrhus.
La première chose qu'il vit sous la tente, c'était que l'interlocuteur du Scalproie était cet Airmure à l'allure impitoyable qui avait participé aux combats. Mynos se redressa indemne (pas de piège, heureusement). Son arrivée insouciante, voire désinvolte, semblaient laisser les chefs résistants sans voix. Pourtant, son attitude n'était qu'une façade classique de mauvais goût, et les deux Pokémons devaient en avoir conscience.
Devant les deux chefs surpris, Mynos paracheva pourtant cette mise en scène prétentieuse et vaniteuse en déclamant d'une voix sereine et arrogante :
- puis-je me joindre à la conversation ?